Les aurores boréales au Mont Saint-Michel
Récit d’une nuit hors du commun
Introduction
Voir les aurores boréales en France relève de l’exploit et nécessite une bonne dose d’ingrédients pour que le spectacle soit au rendez-vous. Il faut une ou des grosses éruptions solaires, dirigées vers la Terre, qu’elles soient suffisamment puissantes et longues, que le ciel soit dégagé et sans nuage, que la lune soit faible, qu’il n’y ait pas de pollution lumineuse… En bref et sans s’attarder sur les détails, c’est un véritable alignement de planètes nécessaire pour que le phénomène soit correctement visible sous nos latitudes. (un article spécial sera dédié à ce sujet)
C’est pourtant ce qu’il s’est passé cette nuit du 10 au 11 mai, une nuit qui restera gravée dans les esprits de nombreux d’entre-nous, chanceux spectateurs des lumières du nord.
Des espoirs grandissants
J’ai pour habitude de regarder la météo solaire tous les jours depuis 2018, dans l’espoir qu’un évènement inhabituel apparaisse. En ce début mai et depuis quelques jours, une région de tâches solaires (son petit nom: AR 3664) est particulièrement active et propulse ce qu’on appelle communément des éjections des masses coronales, ou CME (pour faire simple, des boucles de plasma se détachent du soleil en direction de l’espace).
Le 7 et le 8 mai ont été marqués par trois sévères éruptions, suivies de trois CME. Petit à petit, le monde de l’astrophotographie et des photographes d’aurores s’est mis en ordre de marche, avec l’espoir grandissant de voir un show historique.
Ce n’est que quelques heures après ces fortes éruptions que les premières prévisions ont été publiées par l’institut de référence dans le milieu: NOAA. KP 7 puis KP 8+. Des chiffres qui ne veulent pas dire grand chose pour la plupart des gens mais ils signifient, pour les amateurs avertis, qu’une tempête solaire extrême se rapproche. C’est très rare, et l’occasion est trop belle pour la manquer.
Pour les non initiés, je vous remets ici le tableau sur l’indice KP.
Un lieu iconique pour une nuit historique
Dès lors que j’ai su que quelque chose se passerait peut-être, je me suis mis en quête d’un lieu. Je voulais une image qui serait forte, avec un lieu iconique, que tout le monde reconnaîtra. Et quoi de mieux que le Mont Saint-Michel, à une heure de ma maison d’enfance, comme théâtre des aurores boréales?!
Vendredi soir, 10 mai, 18:00, je quitte ma famille et leurs amis, et me mets en route vers l’un des sites les plus touristiques de France. Personne ne semble comprendre que ce qui est sur le point de se passer est historique.
Il est environ 20:00, et je cherche l’endroit parfait pour espérer photographier le Mont Saint-Michel sous les aurores boréales. Sur place et à ma grande surprise, peu de photographes sont présents. Il semble que l’information, qui a fait grand bruit dans la communauté, n’en soit pas vraiment sortie. Il faut dire que les aurores boréales sont capricieuses, et que les fausses alertes ont été nombreuses. Les calculs de trajectoires des particules sont tellement complexes à appréhender que les prévisions sont souvent erronées et le spectacle faible, ou absent.
C’est un pari que de venir sur place. Je n’espère rien, ou pas grand chose. A ce moment, je n’imagine pas obtenir mieux qu’une légère lueur rosâtre au-dessus du Mont, comme c’était le cas à Etretat en février 2023, et je m’en satisferais.
Rapidement, les graphiques sur les applications spécialisées s’affolent, et moi aussi. La vague de particules arrive très tôt. Trop tôt. Mes espoirs s’amenuisent et le désespoir m’envahi. Je commence à me faire à l’idée que, peut-être, il ne se passerait rien. Il ne fait pas encore nuit, et l’explosion peut durer seulement quelques minutes. Il est impossible de prévoir avec certitude ce qu’il va se passer, et j’en ai fait maintes fois l’amère expérience.
Vers 22:00, le ciel s’assombrit, les premières étoiles apparaissent après un coucher de soleil sublime. A l’Est, en Alsace, les photographes se régalent déjà avec les lumières du nord. Je crains que ces dernières disparaissent avant même qu’il ne fasse complètement nuit ici. Je tourne en rond, je teste des cadrages, j’attends, encore et encore.
Les graphiques montrent des chiffres hallucinants, du jamais vu depuis plus de 20 ans. Rien ne semble indiquer que l’activité va baisser. Je reprends espoir.
Acte 1. Que le spectacle commence !
Très rapidement après l’apparition des premières étoiles, le capteur de l’appareil photo présente des tonalités fushia. Aberrations chromatiques ou premier signe des aurores boréales? Rien n’est sûr pour l’instant. L’horizon est encore très lumineux, et il est difficile de discerner quoi que ce soit à l’oeil nu.
A mesure que la nuit tombe apparaissent des lumières roses à l’est. Cette fois, aucun doute, les aurores boréales sont là. C’est magique, j’exulte. Comme j’avais pu les photographier il y a un peu plus d’un an à Etretat, entre les nuages, j’ai cette fois une image des lumières du nord au-dessus du Mont Saint-Michel. Même si elles disparaissent dans quelques minutes, le voyage n’aura pas été vain. J’imaginais à ce moment que la nuit se densifierait, que ces faibles couleurs s’évanouiraient petit à petit, pour laisser place à une nuit de printemps semblable à toutes les autres. Je me trompais.
Il était également inconcevable pour moi que du vert soit visible. En effet, lors de fortes tempêtes, seules le rouge et le rose sont observables, elles correspondent aux couleurs qui se créent aux plus hautes altitudes, et donc, qui se voient de plus loin. Là aussi, je me trompais.
Vers 00:00, la mer baisse dévoilant des reliefs insoupçonnés. Le ciel se charge de particules et le spectacle est total. Des teintes de vert, du rose, du rouge forment une palette si complexe que je n’avais jamais eu la chance d’observer pareil mélange. Les photos sont mieux que tout ce que j’aurais pu espérer. C’est là que la réalité a commencé à largement dépasser le rêve.
Acte 2. Never stop
Assez rapidement, les formes créées dans le ciel se précisent, devenant plus visibles à l’oeil nu. Je décide de changer d’endroit pour varier les angles de prise de vue.
Je regarde régulièrement les graphiques qui ne semblent montrer aucun signe de ralentissement de l’activité. C’est d’ailleurs plutôt le contraire. Il apparaît à ce moment que ce qui est en train de se produire dépasse de très loin les attentes, et que la nuit sera fabuleuse.
Un peu plus loin, sur le polder, le Mont Saint-Michel semble être le seul élément proéminent et visible au milieu du paysage. La vue est ouverte à 360°, sans lumière parasite. Le spectacle est fabuleux.
01:30, les aurores boréales dessinent des stries dans le ciel, depuis l’horizon jusqu’au dessus de nos têtes. J’ai eu la chance d’observer ce phénomène de nombreuses fois, mais jamais avec une telle intensité. Le rouge est visible à l’oeil nu, sous forme de grandes masses. L’appareil capture tout le spectre de ce tableau hors du commun, que notre vision peu sensible la nuit ne saurait retranscrire de manière fidèle.
Le violet commence à apparaître, entre le rouge et le vert avant que le graal pour tout chasseur d’aurore apparaisse : la corona. On appelle Corona le fait que les rayons orientés vers le haut convergent vers un point, semblant former une couronne. Alors que ce phénomène est relativement fréquent dans les pays du nord, pour lesquels il est régulier que les aurores boréales soient visibles au zénith, il est extrêmement rare en France. De surcroit, voir une corona constituée de rayons rouge s’apparente à un Saint-Graal pour les amateurs du phénomène, et rares sont ceux qui les observeront un jour.
Parce que cette soirée est la soirée de tous les possibles, le ciel nous a préparé une autre surprise. Si vous étiez dehors cette nuit, vous avez peut-être remarqué l’apparition et la disparition rapide de tâches vertes isolées. Ce sont des aurores à protons, et elles n’apparaissent également que lors de fortes tempêtes.
Acte 3. Show must go on
Il est bientôt 03:00 du matin quand je décide de me rapprocher du Mont Saint-Michel. Les aurores boréales sont toujours aussi fortes et visibles. La plupart des gens dorment, mais je compte bien profiter au maximum de cette expérience hors du commun.
Les arrêts sont fréquents sur la passerelle vers le Mont, et le halo vert prend même la forme de légers rideaux. Je commence à comprendre que seul le jour viendra stopper ce moment qui semble suspendu hors du temps.
Vers 5:00, les premiers rayons du soleil teintent l’horizon de orange. Les bus reprennent du service et toute la vie locale semble petit à petit renaître lorsque la nuit s’évanouie. Je fais quelques photos avant de rentrer à la voiture, des images plein la tête.
Cette soirée historique ne se reproduira probablement pas de si tôt, mais elle a dépassé tout mes rêves les plus fous.
J’espère que ce récit de voyage vous aura plu ! N’hésitez pas à laisser un petit commentaire ou à le partager si vous avez apprécié le lire !
Un petit remerciement également à Emmanuel, qui se reconnaîtra, pour cette nuit fabuleuse partagée entre photographes passionnés !